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  LA STATURE HUMAINE DE SAINT JOSEPH
La littérature chrétienne autour de saint Joseph n'est peut-être pas aussi réduite qu'on a voulu le dire mais elle est essentiellement hagiographique, tournée vers l'excellence des vertus du personnage. Du coup, elle est très répétitive, puisqu'il s'agit toujours de les développer à partir de la sublimité de ses qualités d'époux de la Mère de Dieu et de "père" de jésus. La plume est impuissante, certes, à vider son sujet, mais également impuissante chez les uns que chez les autres.

Cette inévitable carence théologique et spirituelle s'accompagne généralement d'une grande timidité concernant ce qu'on pourrait appeler "l'enveloppe humaine" de notre Saint, à savoir son statut social, le regard qu'on portait sur lui de l'extérieur, sa psychologie, sa vie conjugale.

Sur le premier point, sauf quelques échappées de plumes, essentiellement modernes, comme j'en citerai plus loin d'après mes lectures, on pense rehausser la sainteté de joseph en inventant pour lui une vie cachée quasi du genre "Grande Chartreuse", avec une affectation à des travaux "grossiers", puisque manuels, (notre sensibilité a heureusement évolué depuis les temps de Bossuet !). sur le dernier point, sa vie conjugale, on craint de s'engager en des voies périlleuses. Allez donc parler des manifestations de tendresse entre des époux si saints ! Le Père Caffarel ("Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse") me semble le plus audacieux en ce domaine mais il ne dépasse pourtant pas certaines généralités.

Je vais essayer d'aller plus avant, en concrétisant ces situations d'ailleurs courantes au point que mes lecteurs s'y retrouveront aisément. Dans une famille où l'on s'aime, on fête les anniversaires, on complimente la cuisinière pour un plat bien mitonné, on trouve séante une toilette féminine, on manifeste bruyamment sa satisfaction devant une réussite ... tout comme d'ailleurs on déplore éventuellement un geste malheureux: objet cassé ou perdu. Pourquoi imaginer d'autres façons de faire sous le toit de saint joseph ?

On peut aller beaucoup plus loin sans manquer à la discrétion. Qui saint joseph appelle-t-il à son secours lorsqu'une méchante écharde s'est introduite dans sa paume (ça arrive à un menuisier; on ne travaillait pas avec des gants à l'époque !) ? Pareillement qui lui viendra en aide si une poussière de sciure s'est glissée sous sa paupière ? Chez nous c'était Françoise, notre grande sœur, qui faisait alors l'office de bonne infirmière. Je la vois encore, penchée sur la main de papa avec une épingle passée à la flamme, extirpant les piquants de bogues restés en place lors de la récolte des châtaignes, tout comme je la vois retirant d'un linge fin un moucheron logé dans le coin de mon œil ! Si ces choses sont arrivées dans la sainte Famille, tant d'ailleurs à l'un qu'à l'autre de ses membres, pensez-vous qu'on sonnait chez les voisins pour répondre à la situation?

Toujours dans le respect de la discrétion, empêcherons-nous nos deux époux de se manifester l'amour normal qui les unis, avec la main de l'un posée un instant sur celle d'autre et même une tête appuyée sur une épaule ? Curieusement, je n'ai trouvé du concret de ce genre que dans l'ouvrage romancé de Jan Dobraczsnski recensé in fine. C'est trop osé ?

Dans un domaine plus extérieur, lisons maintenant ce que la connaissance d'une vie campagnarde semblable à celle de Nazareth a inspiré tout de même à quelques auteurs modernes sur les activités laborieuses supposées de saint Joseph (des exceptions et parfois peu cohérentes avec des assertions de même plume. On trouve aussi des "perles" concernant le séjour en Egypte, mais là c'est totalement inventé. Pas ici!)

Du Père Pierre Bernard O.P. ("Le mystère de Jésus"): "Joseph enseigne à son fils les travaux quotidiens. Il l'initie aux métiers de la terre. Il lui apprend à travailler le bois, mais aussi à cultiver le sol ... Avec son père, Jésus est allé dans les maisons monter les charpentes. Ensemble, ils ont façonné ou réparé le mobilier de la demeure ou de la mairie. Ils ont fabriqué des charrues, des jougs, des flèches d'attelage, des aiguillons. Mais aussi des lits, des coffres, des huches, des pétrins. Et plus finement encore, des coffrets d'art, pour les commerçants ou pour les rabbins. Des artisans de village ou de petite ville restent très près des gens de la campagne. Généralement Ils ne sont pas si pris par leur métier, ni spécialisés dans leur art, qu'ils n'aillent volontiers donner un coup de main aux paysans, et les aider dans des moments de presse ou d'abondance, à la moisson, à la vendange, à la cueillette des olives. Joseph offre à Jésus le modèle du bon ouvrier."

Pour le Père Bessières (S.J. )la journée du menuisier Joseph s'achève "au jardin"...

Pour le romancier laïc Marius Richard (Librairie Aubanel, Avignon, 1948) Il s'agit pour lui non seulement de monter des charpentes pour les maisons mais "des barques pour les pêcheurs".

Qu'on veuille bien s'arrêter un instant sur ces dernières évocations. Un charpentier menuisier n'est pas un savetier ou un couturier-tailleur lesquels n'ont besoin pour œuvrer que d'étroits locaux et peuvent rester à domicile. je sais d'expérience depuis ma jeunesse campagnarde que le réalisateur d'une charpente n'attend pas qu'on vienne en prendre livraison chez soi. Il aide à l'installer sur place. Pareil à Nazareth pour une barque qu'il s'agit de mettre à flot, voire d'étrenner sur le lac tout proche. Et çà se fête ... avec du bruit... et de l'alcool !

J'ajoute un mot, lu nulle part, concernant ce qui me paraît quelque peu étrange dans la menuiserie de Joseph. Nous y trouvons, jusqu'à sa mort et le départ de Jésus pour sa vie publique, deux hommes adultes en pleine force de l'âge. Cela ne se fait pas dans un petit village où le travail n'est pas si intensif, ou alors on se dédouble, l'un des deux hommes s'installe pour son compte. Sauf, évidemment, s'il s'agit d'un apprenti, mais alors c'est à durée limitée. Si mon intuition est juste cette circonstance a pu jouer, avec celle du célibat prolongé de Jésus, pour créer ce climat moins favorable à la sainte Famille qu'on a relevé ailleurs.

J'aime pour Joseph la trouvaille de Paul Claudel, reprise tout de suite par Francis Jammes, son ami, puis par d'autres auteurs: Joseph, globalement, c'est "l'ouvrier gentilhomme". Mgr. Loutil (Pierre l'Ermite) ajoutera "et le chevalier".

Restons-en là!

Mais on peut prolonger et élargir la citation du Père Albert Bessières avec Joseph, d'une part, ministre du culte familial, d'autre part, éducateur. Ci-dessous:
Ministre officiel du culte familial, c'est lui qui entonne en la modulant, la formule : "Ecoute, Israël : le Seigneur, notre Dieu, est le seul Seigneur. - Tu dois aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, - De toute ton âme et de toutes tes forces." C'est Joseph qui apprend à Jésus à toucher respectueusement le rouleau du parchemin où sont inscrites les prières quotidiennes. La liturgie du foyer a son couronnement en la célébration du sabbat La veille, Marie prépare les mets du lendemain. Joseph, sous les yeux de Jésus, nettoie et range ses outils, fait les emplettes, renouvelle la provision d'eau. Le jour de sabbat, Joseph conduit son fils à la synagogue pour un double office, celui du matin, le plus fréquenté, avec ses hymnes, ses litanies reprises en chœur, la lecture, la traduction en araméen, le commentaire de l 'Ecriture, la bénédiction finale ; celui de l'après-midi, "les vêpres", où on s'instruit des Ecritures, après avoir prié. Joseph prend Jésus avec lui, du côté des hom mes, mêlé à la foule, laissant les places d'honneur aux notables ou à ceux qui veulent passer pour tels... C'est Joseph qui inculque à Jésus les bons usages, qu'ils ne faut pourtant pas confondre avec la Loi, la manière de parler aux femmes, aux anciens, quand il va à la fontaine; la manière de se tenir à table, quand Marie y dépose galettes de froment, olives salées, figues sèches, raisins ou petite poissons ; la manière d'aider sa mère à faire la vaisselle ... Les auteurs des Evangiles apocryphes, estimant tous ces détails trop vulgaires, multiplient les prodiges autour de Jésus; leur pinceau transforme l'atelier en cour des miracles! La réalité est plus simple et plus belle : "Il croissait. Il leur était soumis." (Albert Bessières, S..J., Présence de saint Joseph, Paris 1949, Lethielleux, ch. XXVI, pp. 143-145 : " Joseph éducateur. ")

"Il leur était soumis". je sais gré au Père Bessières de ne pas en avoir rajouté sur "l'obéissance de Jésus". Admirable, certes, mais qui ne lui coûtait rien. Il n'y a même pas de commandement quand on s'aime.

A la découverte d'un prince discret (P. Francis VOLLE C.P.C.R.)
Editions Joyeuse Lumière, 21 bis rue Dareau, 75014 Paris, Tel. 01 45 81 08 73