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POUR UNE NOUVELLE CLASSIFICATION DE SAINT JOSEPH (p 41 - bis)
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Il n'est pas impie, bien au contraire, d'apporter retouche à telle ou telle figure de saint Joseph que nous ont transmise des plumes ou des pinceaux plus amoureux de piété que soucieux de vérité historique. Evidemment, nous n'avons pas beaucoup d'informations de départ sur notre Saint mais le peu que nous livre déjà l'Evangile suffit pour le moins à récuser certaines présentations qui n'ont en leur faveur que la routine.
On songe ainsi tout de suite à celles de l'art sulpicien ou aux fantaisies engendrées par la littérature apocryphe mais personne ne semble mettre en cause - alors que cela crève les yeux de quiconque s'y attarde tant soir peu - le titre de charpentier dont on le qualifie dans notre langage français. Il y a pourtant là-dessus matière à réflexion.
Le charpentier est, par définition, un ouvrier qui fabrique et pose éventuellement des charpentes, grosses poutres d'ordinaire destinées à structurer une maison, son toit notamment. Convenons-en dans un petit village comme l'était le Nazareth d'époque ce n'était pas tous les jours que l'on était sollicité pour un travail de ce genre. A vouloir conserver à saint Joseph cette spécialité il faudrait lui trouver embauche ailleurs. Pourquoi pas? Pourquoi pas par exemple à Sépphoris, importante ville voisine que le roi Hérode avait fait détruire en l'an -4 et que sont successeur était en train de reconstruire? L'idée en est suggérée par d'aucuns. On y souscrirait volontiers mais dans ce cas il nous faudrait voir sur les chantiers, comme ouvrier ou maître d'œuvre, quelqu'un que nous avons coutume de situer plutôt dans un atelier, de voir que des échelles ou échafaudages quelqu'un qui nous est familier devant un établi, de voir en relation avec des professionnels du bâtiment quelqu'un que no
us aimerions bien mieux garder ses conversations ... Et son silence pour d'autres ! D'autant qu'un Jésus déjà grand serait à ses côtés en ces lieux peu hospitaliers.
Pour coller au plus près avec les représentations traditionnelles, il faudra remplacer le titre de charpentier par un autre bien plus prégnant de vérité, celui de menuisier tel que le définit notre Petit Larousse :"Menuisier: spécialiste (ouvrier, artisan, industriel) qui produit des ouvrages en bois pour le bâtiment, constitué de pièces relativement petites (à la différence du charpentier) ou des meubles, généralement utilitaires, sans placage ni ornement ( à la différence de l'ébéniste)".
Voilà bien l'ouvrier sur bois que devait être notre Saint, gagnant normalement sa vie sans beaucoup sortir de chez lui ou de son village, sous ce rapport. Nous le voyons volontiers tout occupé à scier, raboter, confectionner portes, fenêtres, peut-être cercles de tonneaux, brancards de chariot, carènes de barques ... Sans compter les autres activités propres à la vie rurale de son temps, chacun suffisant à peu près à sa propre subsistance, avec un jardin, des poules, des lapins (le domaine que se réservent d'ordinaire les fermières dans une famille paysanne, celui de Marie donc !), quelques chèvres pour le lait, un bourricot pour les grosses emplettes ou ventes... Ajoutons pour être complets le coup de main qu'on est appelé quasi quotidiennement à se rendre entre voisins.
Au reste, tout en maintenant en priorité pour notre Saint la qualification toute simple de "menuisier", rien n'empêche de lui accoler, affichée ou pas, celle de "charpentier", car Joseph a bien dû une fois ou l'autre en faire le travail.
Qu'on reste d'ailleurs réaliste dès qu'on parle à ce niveau. Les poutres n'arrivent pas toutes prêtes dans l'atelier du menuisier-charpentier. Il faut aller chercher les troncs, soit dans la forêt, soit chez le professionnel et ensuite les dégrossir convenablement. Aujourd'hui, pour cela et pour obtenir des planches, tout se ferait à la scie électrique, appareil aisément intégré à l'atelier. Mais au temps de saint Joseph - et jusqu'au siècle passé - on ne connaissait pas l'électricité, tout se faisait à la main.
Et voici comment, sur le point qui nous concerne, le tronc (grume, "bille") est hissé sur un chevalet ; un ouvrier s'installe debout sur lui, tenant en main l'extrémité emmanchée de la longue lame métallique qui va servir à découper (la loube, en Ardèche); un sien collègue est à même le sol, tenant l'autre extrémité, et on engage le mouvement aller-retour de la scie. Pour que l'homme d'en bas ne reste pas trop longtemps à "manger" seul la sciure, il y a alternance de position entre les deux ouvriers. C'est le métier de "scieurs de long", dur dur métier! Vous accepteriez de voir Joseph et son garçon devenu grand faire ensemble un tel boulot?
J'ai imaginé pas mal, c'est sûr, mais je raconte les choses comme je les ai vues dans un contexte de village et de métier si proches de ceux qui ont été le contexte de vie de la sainte Famille.
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A la découverte d'un prince discret (P. Francis VOLLE C.P.C.R.)
Editions Joyeuse Lumière, 21 bis rue Dareau, 75014 Paris, Tel. 01 45 81 08 73
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