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  JÉSUS, MAL AIMÉ DANS SON PROPRE VILLAGE?
La visite de Jésus à Nazareth, tout au début de sa vie publique (Lc 4, 16-28), est marquée par la violence. Elle se termine mal puisque, " en l'entendant, tous dans la synagogue furent remplis de fureur. Et, se levant, ils le poussèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline, sur laquelle leur ville était bâtie, pour l'en précipiter... " (Lc 4, 28-29).

C'est même tellement violent que cela devient incompréhensible ou du moins " pose problème. " Certes, Jésus a pris ses compatriotes à rebrousse-poil. Il leur a déclaré tout de go, prenant les devants, qu'ils n'avaient rien à espérer de lui en fait de miracles, mais enfin c'est un fils du village qui revient, auréolé d'une réputation favorable ; même si le discours entendu de lui les a choqués, il n'y a pas de quoi se mettre à ce point en colère. Si Jésus avait été auparavant très aimé de tous, on aurait baissé la tête tout au plus, essayant de comprendre la rigueur de son attitude. A croire que cette sympathie n'existait pas ou était faible.

La Bible de Jérusalem fournit une explication, mais je la crois fausse. Le récit serait une composition artificielle, la mise en scénario du refus généralisé du peuple juif devant son Messie. " Il vint parmi les siens et les siens ne l'ont pas reçu. " Qu'on lise : " Ce récit étonne par le revirement de la foule qui passe de l'admiration (verset 22: Tous lui rendaient témoignage.. devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche) à l'animosité. Cette anomalie est sans doute le résultat d'une évolution littéraire. Un premier récit racontait une visite de synagogue avec prédication couronnée de succès, au début du ministère. Ce récit a été ensuite repris, surchargé et placé plus tard dans la vie de Jésus pour consigner l'incompréhension et le refus qui ont fait suite à la première faveur du peuple. De ce texte complexe, Luc a su tirer une page admirable, qu'il a maintenue au début du ministère, comme une scène inaugurale, et où il dépeint en un raccourci symbolique, la vivi fiante grâce de Jésus et le refus de son peuple "

C'est intéressant comme explication, mais n'emporte pas la conviction, la mienne du moins. Outre que je suis à priori peu favorable à cette métamorphose d'une page apparemment historique en scénario, il y a les passages parallèles de Mc 14, 53-57 et Mc 6, 1-6 qui ne la soutiennent guère. Là, les choses se terminent moins mal qu'en saint Luc (simplement la mention du peu de foi des auditeurs) mais le raccourci des textes semble imposer sur les lèvres de Jésus le discours agressif qui " fait problème. " En Marc, notamment, les auditeurs sont étonnés de ce qu'ils entendent, tellement c'est curieux de la part de quelqu'un qui n'a pas étudié, mais ils sont tout de suite choqués et hostiles.

C'est vraiment étrange. je suis moi-même natif d'un petit village, genre Nazareth. Si mon discours de première messe avait été une remontrance vis-à-vis des fidèles de la paroisse, on s'en serait, certes, étonné et attristé, mais pas au point de me retirer toute affection, tellement celle-ci était grande dans l'étape antérieure. Or, Jésus a passé 30 ans ou presque dans la bourgade où on le connaît parfaitement. Est-ce que par hasard, il ne se serait pas rendu aimable, très aimable durant tout ce temps ?

Je suis tenté de le croire. Et cela par calcul de sa part, le silence sur son identité lui imposant des réserves. Le Père Caffarel, dans son beau livre : prends chez toi Marie, ton épouse pose la question : "Les trois de Nazareth provoquaient-ils dans leur village, le mouvement d'admiration et d'étonnement que suscitera autour d'elle la première Communauté chrétienne ? Non, car tout est encore intérieur, secret, invisible. Jésus fait auprès de son père et de sa mère tout ce qu'il fera par la suite auprès de ses disciples et aujourd'hui dans l'Eglise, mais aucune proclamation, aucune prédication ne sort de la maison silencieuse et travailleuse. Peut-être même la grandeur de leur secret les isole-t-elle du milieu où ils vivent, cette sorte de repliement ne fait que donner plus de plénitude à leur intimité, plus d'absolue perfection à cette petite église de Nazareth, source et modèle de la future Eglise du Christ " (p. 110.)

Il doit y avoir quelque chose de cela, mais ce n'est, à mon avis, pas suffisant pour expliquer l'incrédulité (sinon la violence) que Jésus trouve devant lui. Le préjugé favorable semble lui manquer pour être écouté, sinon cru. " Aucune proclamation, aucune prédication " ne sortait de sa maison jusqu'ici ? Je veux bien, mais la bonté et la sagesse ont d'autres moyens de se manifester. Jésus s'en serait-il privé ? C'est impensable. Alors il doit y avoir autre chose. Mais quoi ?

L'humilité de la condition sociale ? Mais non, un village apprécie ses artisans. Ce n'est que pour exalter l'humilité du Fils de Dieu qu'on dévalorise généralement la profession qu'il a choisie, comme si la sagesse ne pouvait exister chez " les ouvriers et gens de métier ", avec citation de Si.38, 24-34. Mais le procédé est incorrect. Au temps de Jésus au moins, le travail manuel était apprécié de tous, même des gens de lettres, et nous verrons plus tard Paul devenir tisserand sans que ce soit obstacle à sa prédication.

Si mon intuition d'un contexte local peu favorable à Jésus est fondée, je crois que c'est le célibat de ce beau garçon de 18, 20, 25, 30 ans qui a dû le faire voir comme singulier, à part. Et cela malgré son souci par ailleurs, de n'attirer en rien l'attention. Car un village compte ses garçons et ses filles, surtout lorsqu'un mariage avec quelqu'un du dehors est plutôt mal vu. Ces jeunes filles qui ne trouvent en lui aucun écho à leurs avances (mais oui des avances, c'est si normal, même à lui !).

Ces couples qui convolent, les uns après les autres, l'invitent à leurs noces et lui disent : " Et toi c'est pour quand ? " Ces parents qui supputent... pour rien! Et puis les années passent et tout le monde comprend que "celui-là ne veut pas se marier. " C'est choquant. Choquant surtout en Israël où la piété demande mariage et procréation. " On se mariait de bonne heure en Israël, comme dans tous les pays d'Orient. Pour les hommes, un grand nombre de rabbins pensaient que dix-huit ans était l'âge favorable, les plus larges reculaient jusqu'à vingt-quatre ans, mais les plus austères assuraient que "le Saint Unique maudissait l'homme qui à vingt ans, n'était pas marié. " Quant aux filles, on les mariait sitôt nubiles (la nubilité légale étant à douze ans et demi) " Caffarel op. Cit. p.20. Et encore p. 126: " La société juive n'accordait pas de place à la virginité. "!

Le célibat de Jésus a donc dû " poser problème " à Nazareth. On a dû jaser pas mal là-dessus derrière les portes: Eunuque ? (Mt. 19,12). Encore, si l'intéressé avait vécu dans la périphérie du village, avec peu de contact avec la population, vie cachée dans le sens d'une vie ermite... Mais rien de cela. A Nazareth, toutes les maisons se touchaient et le métier de Joseph introduisait la Sainte Famille au cœur des relations de voisinage... Je saisis ce que ce peut être déjà à partir de mon expérience d'enfant (20ème siècle 1) dans mon village d'Ardèche pourtant étalé dans l'espace, avec toutes mes visites aux artisans locaux; forgerons, cordonniers, sabotiers, boulangers... par pure curiosité et le désir de causer.

Si le scénario imaginé par la Bible de Jérusalem n'est que solution de facilité à notre problème, si réellement les contemporains immédiats de Jésus ont été (au moins) irrités par son premier discours, je pense que le "climat " n'y était pas et que mon explication de son absence en vaut bien d'autres.

A la découverte d'un prince discret (P. Francis VOLLE C.P.C.R.)
Editions Joyeuse Lumière, 21 bis rue Dareau, 75014 Paris, Tel. 01 45 81 08 73