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  DES "OH" ET DES "AH DE TROP CONCERNANT SAINT JOSEPH
Lorsque, tout à la fois, on admire et on aime quelqu'un, il n'est pas aisé de garder la mesure d'expression. C'est ce qui arrive à nombre des dévots de Saint Joseph lorsqu'ils ont à parler ou écrire de lui. Comment aligner des pages sur un personnage dont l'Évangile ne fait que suggérer la grandeur, sans tirer le discours de son propre fond, imaginatif, éventuellement emphatique ou pieusard...? Idem d'ailleurs et d'abord pour la Vierge.

J'ai pu m'en convaincre, sans devoir revenir à de stupides apocryphes, avec l'anthologie préfacée par Mgr Villepelet (aux éditions La Colombe, 1959) : "Les plus beaux textes sur Saint Joseph" et l'autre "Saint Joseph, Époux de Marie" (aux Traditions Monastiques, février 2002).

Ce sont de grands noms qui couvrent pourtant d'insoutenables assertions. Citons-en quelques-uns et quelques-unes.

De Ludolphe le Chartreux (1300-1370) : "Selon certains auteurs, la présence de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge faisait briller son visage d'un tel éclat que Joseph ne pouvait regarder en face Celle sur qui le Saint-Esprit avait répandu sa plénitude ... Ainsi, Joseph n'avait jamais vu face à face, avant qu'elle eut enfanté celle qui lui était fiancée".

Marie d'Agreda (1602-1665) : "Joseph, pour satisfaire le désir qu'il avait d'honorer celle qu'il reconnaissait pour Mère de Dieu, quand il lui parlait ou lui passait devant, se trouvant seul avec elle, il pliait le genou et ne voulait pas permettre qu'elle le servît, ... (Protestations de Notre-Dame et dès lors Saint Joseph "gardant en cela une juste proportion", ne continue à agir ainsi que lorsqu'elle ne s'en apercevait pas".

Saint Alphonse de Liguri (1696-1787) qui veut exalter l'obéissance de Jésus lequel, selon lui, "ne fit jamais une seule action, ni même un seul pas, ne prit jamais sa nourriture, ni ne se livra au repos que d'après les ordres de Saint Joseph".

Saint Léonard de Port-Maurice (1676-1751) : "O merveilleuse dignité de Saint Joseph s'écrie Gerson ... Un pauvre charpentier - travaillant son bois, l'émule de celui qui a créé le monde ! Que voulez-vous de plus pour proclamer Joseph le plus grand de tous les hommes, comme père, si Dieu lui-même ne peut faire un père plus grand que celui qui a Dieu pour fils".

Avec cela de multiples plumes qui enflent à qui mieux- mieux pour, soi-disant, édifier les travaux et souffrances de Saint Joseph "Pour nourrir son épouse et le divin Enfant ... il était contraint de travailler jour et nuit" (Saint A. de L.). La fuite en Egypte "se fit par le temps le plus rigoureux de l'hiver, avec l'incommodité du vent et de la neige ... Pour un séjour de sept années au milieu d'une nation idolâtre, barbare et inconnue, puisqu'il n'y avait là ni parents ni amis qui puissent l'assister "en terre non seulement étrangère, mais ennemie des Israélites; d'autant que les Égyptiens se ressentaient encore de quoi ils les avaient quittés et avaient été cause qu'une grande partie d'entre eux avaient été submergés lorsqu'ils les poursuivaient" (St F. De S.)

N'importe quel ouvrier, voire n'importe quel demandeur d'emploi honnête trouvera à redire à ces prétendus 'travaux excessifs,' surtout s'il est lui-même chargé d'une famille autrement nombreuse et exigeante que celle de Joseph ! Pour ce qui est des déplacés, exilés, persécutés de tout poil, qui abondent autour de nous, ils auraient sûrement de quoi pouvoir préférer le sort de Joseph au leur ! Ce qui n'empêche pas de déplorer l'épreuve commune !

Pour ce qui est des difficultés de Joseph à Nazareth, nous trouvons de tout sous les plumes évoquées plus haut ... et qui sont souvent des plumes saintes, mais trop trempées, semble-t-il, dans le bénitier.

"Notre Saint n'était rien à Nazareth, qui elle-même était si peu de chose. Il n'y avait aucun emploi; et hormis qu'il y édifiait constamment tout son voisinage, il n'y exerçait aucune action. Il ne passait point pour lettré, encore moins pour savant, et très probablement, selon l'homme, il n'était ni l'un ni l'autre ... Trop manifestement honnête pour n'y jouir point d'une certaine considération parmi les braves gens de l'endroit; trop inoffensif, trop doux, trop serviable pour n'y compter pas quelques amis; mais aussi trop fidèle serviteur de Dieu, trop éloigné de l'esprit du monde, trop pieux, trop saint enfin, pour n'y être point blâmé, raillé, haï, persécuté par les méchants qui sont partout les mêmes et ne manquent nulle part. Il travaillait et gagnait peu. Il est absolument impossible de se le représenter comme un homme habile en affaires, ou comme faisant valoir et surfaisant le prix de ses ouvrages ... Que de fois il dût être victime et de sa conscience et de sa confiance et de sa compatissante bénignité ! Que de rabais exorbitants et injustes il dut subir sans se plaindre, et que souvent il abandonna tout à fait à ses créances !... En somme, vous le voyez, c'était, dans toute la force du terme, un plébéien obscur, et, comme nous le disions, un homme effacé ..." (Mgr Gay, 1815-1892). C'est joli, mais tout inventé

Et quantité de textes similaires, dans lesquels la même plume se contredit parfois, tant elle veut conjointement faire briller le Saint et le maintenir dans l'obscurité, en faire un homme de bon conseil et le garder silencieux. Comme une invitation dans ces contrastes à ne pas trop prendre à la lettre telle ou telle affirmation qui relève seulement de la dévotion (chez le bon saint François de Sales (1567-1622) notamment, parlant ou écrivant à ses Religieuses de la Visitation).

Joseph "toujours errant, toujours vagabond", alors "qu'il ne craint rien tant que le bruit et la vie du siècle qui viendraient troubler son repos caché et intérieur"; c'est pourtant du Bossuet.

Pour ce qui est de ses vertus intimes, elles seraient de telle sorte l'œuvre en lui de l'Esprit Saint, qu'elles lui sont co-naturelles, n'exigeant aucun effort. Pour don Bernard Maréchaux, par exemple (1849-1927), "la chasteté de Saint Joseph n'était pas une chasteté de lutte et de combat, mais une chasteté passée en nature et de tout repos ; il fallait qu'elle eut ce caractère pour l'habiliter à des noces avec Marie, la très pure Vierge". C'est d'autant plus admirable pour notre auteur qu'il n'exempte pas son Saint du péché originel (Saint François de Sales, pour son compte, le veut ressuscité et monté au ciel, en corps et en âme, en même temps que Jésus). D'ailleurs pas possible de pécher quand on contemple Dieu sans cesse ! (Don Bernard Maréchaux).

Idem pour ce moine bénédictin la garde du secret concernant son hôte divin : "Joseph se conduisait de telle sorte que tous le croyaient père de l'adolescent qui grandissait sous ses yeux, et il agissait ainsi d'une manière parfaitement aisée, sans aucune contrainte, par une haute et comme instinctive prudence qui réglait ses moindres gestes ..." "Son silence, fait d'esprit de religion et de prière, était passé chez lui en nature" Peut-être ! ou peut-être pas!

Bossuet (1627-1704) m'aidera quelque peu à retrouver la condition humaine commune. S'il ne va pas jusqu'à suggérer un combat intérieur chez Joseph, du moins il comprend qu'une grâce puissante a dû être requise pour que "ce que Dieu veut lui passe en nature .... pour qu'il devienne par l'affection (vis-à-vis de Jésus) ce qu'il n'est pas par nature".

On sait que Thérèse de l'Enfant-Jésus n'aimait pas les sermons sur la Vierge qui ne faisaient pousser que des "Oh et des Ah", tellement ils éloignaient N.D. de la condition commune. Ainsi, à mon avis, les textes cités concernant Saint Joseph.

A la découverte d'un prince discret (P. Francis VOLLE C.P.C.R.)
Editions Joyeuse Lumière, 21 bis rue Dareau, 75014 Paris, Tel. 01 45 81 08 73