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  NON, SAINT JOSEPH N'EST PAS CE QUE L'ON CROIT
On a coutume de situer saint Joseph dans l'ombre, ce qui est faux. Bien plus, de situer notre Saint dans l'ombre de Jésus, ce qui est un comble. Car la réalité est tout à l'envers, du moins si on en reste à l'époque de la " vie cachée " du Seigneur. (Nous ne parlons donc pas, évidemment, des temps qui ont suivi la Pâque réclamant les pleins feux sur Jésus-Christ, Seigneur ... )

A Nazareth, en effet, ce n'est pas Joseph qui se cache mais Jésus. Et il se cache précisément dans l'ombre de Joseph. Ou mieux encore - l'image est plus parlante - dans son dos. Celui qui se met éventuellement en lumière pour qu'on le regarde de préférence, c'est Joseph, pas Jésus. Et c'est voulu ainsi, en connivence avec le Ciel et entre les deux intéressés, pour que passe inaperçu - ou presque, celui qui ne se dévoilera qu'une fois venue son Heure, trente ans et plus après sa naissance.

La chose est si évidente que je m'étonne de ne la lire nulle part et de ne l'avoir saisie moi-même que très tard dans ma vie. je n'entendais parler, il est vrai au sujet de Joseph, que de silence, d'effacement, d'une humilité de l'ombre. Erreur ! Sans doute voulait-on affirmer par cette présentation du Patriarche sa totale abnégation, mais ce n'était pas lui faire honneur que de le montrer ainsi à la manière d'un sacristain de village, falot et insignifiant.

Et ce serait cet homme que Dieu le Père aurait choisi pour le représenter sur terre auprès de son Fils? Cet homme que l'Eglise maintenant acclamerait comme son Patron? Absit !

L'humilité, vertu souveraine en saint Joseph? Si vous voulez, mais l'humilité, pour être vraiment une vertu, doit s'accommoder des autres exigences du devoir d'état. En l'occurrence, Joseph sera humble, non pas en s'écrasant, mais quand besoin sera en s'affirmant, et cela jusqu'à la feinte. Lui qui n'est pas le père charnel nous dirions le père " normal " se laisse prendre comme tel. A lui les honneurs, si on en rend encore quelques-uns aux descendants de David. (Ils sont un millier environ à l'époque en Israël donc ça ne pèse pas tellement, mais enfin dans un village où tout le monde le connaît, ce doit être comme la particule aujourd'hui !) Ce que nous prendrions pour un métier de misère - charpentier et quelques bricoles - ne l'est pas dans le contexte de temps et de lieu, le travail manuel étant honoré jusque chez les rabbins, et Nazareth, petite bourgade appréciant ses artisans. Comme il pourrait être membre de nos conseils municipaux aujourd'hui, Joseph pouvait se trouver tout normalement siégeant parmi les notables aux Portes de la ville...

Cela vous étonne ? C'est tout nouveau pour vous ? Cela n'est écrit nulle part dans l'Evangile ? D'accord, mais où est-il écrit dans l'Evangile que saint Joseph était inexistant socialement, une espèce de moine, partageant son temps entre la synagogue et les quatre murs de son échoppe, étranger à la vie de ses voisins et du village ? On a inventé à loisir dans un sens on peut inventer également dans l'autre et avec beaucoup plus de vraisemblance, il me semble.

L'importance de l'enjeu est grande, car si la première figure est véritable, Joseph est certainement un excellent modèle pour les petites gens ou les membres des Ordres contemplatifs mais il ne dit pas grand-chose aux autres classes d'hommes ou de femmes, à ceux et celles notamment qui ont à guider la cité. Il n'est d'ailleurs qu'à constater ce désintérêt général parmi nos contemporains, fussent-ils prêtres. Si, par contre, Joseph a été un homme respectable et respecté à cause de ses qualités, s'il a pu tenir sa place " comme un autre " dans la société de son temps, si son humilité n'est pas à situer dans un quelconque abaissement devant les hommes mais à une remise totale de ses capacités au service de Dieu, oublieux de lui-même et ne vivant que pour sa tâche... alors c'est autre chose ! Il devient un modèle universel dans l'accomplissement exemplaire du devoir d'état propre à chacun, brillant ou non.

On pourrait, certes, le concevoir sans particulière émergence dans son village, sa maisonnée n'attirant pas spécialement les regards, tous vivant ainsi " à l'ombre. " Mais ne pensez-vous pas que la sagesse de ses propos lorsqu'il parlait à ses voisins ou clients (et ne parlait pas que de poutres à équarrir ou de charrues à réparer !), tout comme, par ailleurs, la grâce de Marie sa femme, devaient suffire à en faire un point de référence ? Et puis nous sommes dans un village oriental où l'on vit autant chez le voisin que chez soi-même, où tous les bruits se colportent, on sait tout de tous... ou presque. Décidément en fait de vie cachée pour Jésus, j'aime mieux le voir dans l'ombre que fait devant lui un homme de haute stature, ombre d'autant plus épaisse que l'homme est plus grand, avec juste ce qu'il faut de décalage entre père et fils pour qu'on parle des deux avec honneur, mais plus du premier que du second.

Je dois me tromper cependant sur un point: si, on a dû parler de Jésus à Nazareth à l'époque de sa vie cachée, mais je ne suis pas sûr que ce fut tellement en bien. Car l'enfant avait grandi. C'était maintenant un bel adolescent, dix-huit, vingt, vingt-cinq ans..., et il ne se mariait pas ! Et il n'engendrait pas d'enfants pour dilater le Peuple de Dieu comme c'était le devoir de tout bon Israélite. Et les jeunes filles se faisaient quelque peu belles pour lui, comme c'était leur droit, sans qu'il paraisse le remarquer, sans relever un regard, un rire, un pas qui se ralentit... Si Joseph vivait encore à la date, il lui aurait fallu protéger son fils de quelques remarques dépourvues d'aménité. Marie pareillement... Mais au fond, cela n'affaiblit pas la thèse ; ou bien, s'il était seul à se justifier... ou à ne pas le faire... Jésus se mettait en retrait de lui-même, dans l'ombre de la critique ; ou bien c'est qu'un autre le couvrait de son assurance. Un autre, toujours le même ! Et que j'aime la connivence entre les deux adultes, parlant de choses sérieuses, des choses du Royaume, chacun sachant la mission de l'autre et faisant exprès diversion au dehors, le premier attirant l'attention requise pour que le second puisse se réserver comme il l'entendait !

Nous noterons que lorsque Jésus se manifestera enfin à la population locale, ce sera la stupeur générale - " Mais qu'est-ce qui lui arrive ? Mais pour qui se prend-il ? Mais il a perdu la tête! " D'où la démarche extrêmement révélatrice des parents et ami qui veulent le faire enfermer quia in furore versus est. Ce qui prouve bien qu'on ne s'attendait à rien de spécial de sa part. D'ailleurs, de Nazareth, pouvait-il sortir quelque chose de bon ?

Joseph à l'époque était assurément mort. Alors oui, maintenant on peut parler d'effacement pour lui, mais si son nom n'est plus au tableau il y fut tout le temps voulu. Sa disparition fait partie du même jeu que sa présence. Pleine lumière sur le seul Jésus dont on sait pourtant la filiation. Il faudra d'ailleurs beaucoup de temps aux chrétiens, voire à l'Eglise officielle en son ensemble, pour situer correctement Joseph dans le mystère du salut, celui qui devait faire ombre et non ombrage, avant que de recevoir la pleine lumière du Christ de gloire.

A la découverte d'un prince discret (P. Francis VOLLE C.P.C.R.)
Editions Joyeuse Lumière, 21 bis rue Dareau, 75014 Paris, Tel. 01 45 81 08 73